Kalash Criminel – BON COURAGE : Frappe anti-impérialiste, l’OTAN en sueur

par | Mai 25, 2024 | Contre-culture | 0 commentaires

Le rappeur le plus cagoulé de France a encore frappé. Encore les problèmes.

Pour ceux qui ne connaissent pas Kalash Criminel, c’est un rappeur cagoulé adepte de trap très lourde, sur thème de menace de passage à tabac et de mise à mort, qui saupoudre ses orgies de violence par des punchlines anti-racistes, anti-impérialistes, et même féministes. Ses sons font régulièrement gloser la bourgeoise, on se souvient de la tentative de censure de “cougar gang” par Brigitte Macron. Pour les plus fainéants, tout son style est condensé dans “Euphorie”.

Après plusieurs masterclass comme “La fosse au lion” ou l’album en commun avec Kaaris “SVR”, il nous met une nouvelle frappe en 17 titres au nom de BON COURAGE, pour nous annoncer la couleur.

17 morceaux, tous écrits en majuscules, pour donner un côté crytpique. C’est un peu la mode en ce moment. Des titres aux noms très variés, souvent référencés, très typiques de l’artiste, comme le très tentant “VIENS QUE J’TE FRAPPE”. On y trouve des morceaux plus légers, comme “KISS & FLY”, comme des plus lourds dans le style de “LE FLOW DE MOBUTU SUR UNE PROD TRAP”. Tous les thèmes récurrents du rappeur sont présents, que ce soient l’anti-impérialisme, l’enrichissement personnel, la dénonciation de la situation dans les zones de guerre et de famine comme la RDC et le Yemen, le pugilat, son albinisme, mais aussi les thèmes les plus curieux, comme le fait de flexer sur son avocat ou de critiquer les marabouts. Pas grand chose de surprenant de la part d’un artiste qui flexait sur de la trap à propos de sa copine exemplaire dans le très très audacieux “Ça va ma chérie” (La fosse aux lions).

Quelques évolutions d’abord. Deux surtout, très liées. La première, esthétique. Passé d’un style vestimentaire et d’un cadre type thug de cité bien placé dans un gang, l’album se veut dans un style beaucoup plus… groupe paramilitaire d’Afrique subsaharienne, ou milice russe, au choix. De quoi donner beaucoup de corps à la punch issue d’Apocalypse (SVR) “pourquoi je suis aussi violent, parce-que j’ai connu la guerre au Congo”. La deuxième mutation, ce n’est pas une question de nature, c’est une question d’intensité. La thématique de l’anti-impérialisme n’est plus récurrente, elle est centrale. Une mutation en lien avec le caractère omniprésent de ces questions dans le paysage politique de ces dernières années, on a pu observer ce glissement progressif chez Kalash Criminel, qui arrivait même à contaminer Kaaris qui disait dans Apocalypse “on a mis des disquettes à toute la Terre, comme . Xi . Jin . Ping » (probablement une de ses punchs les plus politiques”).

Dans BON COURAGE, tout le monde prend pour son grade. Pêle-mêle, Mobutu, Elizabeth II, Blaise Comparoré, Vincent Bolloré, Laurent Désirée Kabila, Macron, l’ONU, l’OTAN… Certaines lignes frappent pile dans l’hypocrisie du camp impérialiste comme “l’OTAN condamne la Russie mais condamne pas le Rwanda” (NGANNOU SANS BOBBY), ses manœuvres “Les plus grands migrants en Afrique sont les soldats Français. On sait même pas ce qu’ils foutent là-bas… ah mais si, on le sait” (COEUR BLANC COMME JUL), la complicité des soi-disant organismes de contrôle “l’ONU a du sang sur les mains” (LE RECRUTEMENT DE BEN LADEN).

Mais l’œuvre majeure de l’album, le premier morceau clippé d’ailleurs, c’est le featuring avec Freeze Corleone, “ENCORE LES PROBLEMES”. Dans une ambiance de camp d’entraînement d’Africa Corps, après une première punchline de Crimi dont je laisse l’interprétation libre quant à l’hypothèse de critique de la gauche bourgeoise bien pensante ou d’intention transphobe (“voir des hommes enceintes, c’est ça qu’ils appellent le progressisme »), les deux rappeurs s’adonnent à une démolition en règle du colonialisme et du nazisme, qu’ils ne différencient pas du tout, comme lorsque Freeze lance “et c’est pas de ma faute s’ils ont collaboré, s’ils ont fait partir des négros à Gorée” (mais se permet quand même, en plein morceau antinazi, de glisser un très provoquant “négro j’sip jamais de lean clair, voiture allemande j’ai les mêmes gouts que -”).

Mention spéciale au morceau AMI(E) NOIR(E), qui affiche clairement le ton en répétant avec appui “je suis pas raciste, j’ai un ami noir. Quoi ? Nique ta mère, toi et ton ami noir !”, et passe en fin de morceau la séquence catastrophique de Nadine Morano où elle se défend de son racisme en agitant sa “meilleure amie”, qui serait Tchadienne. A faire écouter à tous les fachos de France et de Navarre.

Un bémol majeur à cet album, mais qui s’explique probablement par le côté déjà très outrancier et sujet à la censure de l’album, l’envie de ne pas non plus dépasser les limites (“j’vole près du soleil comme Icare, j’brûle pas et c’est rarissime”, ENCORE LES PROBLEMES), c’est l’absence totale de référence à l’actuel génocide à Gaza. Incompréhensible quand on connaît le soutien, discret mais existant, que l’artiste a affirmé pour la cause palestinienne tout au long de sa carrière. Même PNL, qui ne sont pas les plus avant-gardistes sur les questions géopolitiques, se sont fendus d’un morceau de soutien à Gaza et Ademo a adressé une lettre au Président dès le 18 octobre alors que Kalash Criminel est resté totalement muet.

Mais tout le monde a des défauts et Kalash Criminel n’a pas la liberté de PNL, qui ne dépend pas d’Universal, qui a droit de vie et de mort sur chaque morceau. Il y a d’ailleurs à se demander si les grands labels n’ont pas dès le 8 octobre menacé tous les artistes de déchirer leurs contrats s’ils parlaient de la question palestinienne quand on voit le mutisme total de la scène musicale. Crimi, très touché par la stigmatisation de son albinisme, dit lui-même détester les injustices et considérer cela comme son rôle de les dénoncer dans ses morceaux, comparant le rap qui ne dénonce pas comme du foot joué avec les mains. On a grand besoin des artistes comme ça dans un paysage musical aseptisé, qui obéit à des codes normés par une industrie du disque en quête de compromission permanente avec le monde politique, qui nous met en tête de gondole les artistes les plus dociles, comme un Booba qui pose avec Bolloré ou un Ninho qui fait un morceau à l’ode du service de transports européen “Eurostar” (morceau très bon, mais boycottez-moi quand même ces pseudo “élections” européennes de baltringues).

Kalash Criminel a annoncé son intention d’arrêter assez rapidement de rapper, probablement pour ouvrir une radio, où il hébergerait des morceaux beaucoup moins lissés que ce qu’on trouve sur Skyrock. Malgré tout ça, ça ferait du bien à beaucoup de ces gauchistes qui dénoncent la guerre de Poutine, l’”autoritarisme” de Kadhafi, la répression de Bachar El-Assad, d’écouter un peu de Kalash Criminel. Ça leur donnerait un peu de culture géopolitique anti-impérialiste, ça les rendrait sérieux.

Et ça nous enlèverait quelques problèmes.

Silco

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