Desacraliser l’Ancien Testament : à propos de Caïn de José Saramago

par | Mai 11, 2023 | Contre-culture | 0 commentaires

Jose Saramago, écrivain et journaliste portugais, est à ce jour le seul prix Nobel de littérature en langue portugaise. Né en 1922 et mort en 2010, Caïn (2009) est son dernier livre publié de son vivant. L’histoire suit Caïn, le premier assassin de l’Histoire qui, après un accord avec Dieu car ce dernier partage la responsabilité de la mort de son frère Abel, va errer à travers le temps et l’espace, en étant de plus en plus désillusionné sur le divin et la grande cruauté dont il fait preuve.


Le livre reprend le thème de Candide de Voltaire avec son héros naïf qui apprend en parcourant le Monde. Ce n’est pas le premier ouvrage de l’auteur prenant pour base la Bible, celui-ci ayant déjà rédigé L’évangile selon Jesus-Christ (1991), où Dieu est représenté comme l’antagoniste, Jésus comme un personnage trop humain hanté par les crimes de son père et l’amour qu’il porte à une prostituée du nom de Marie. Sans oublier Le Dieu manchot (1982).


Saramago est un enfant de paysan pauvre. Il entrera dans une école professionnelle pour devenir serrurier, même si le futur écrivain cumulera plusieurs emplois au cours de son existence. Son premier vrai roman date de 1947, sous la dictature, avec pour titre Terre du péché. Membre du Parti communiste portugais, il est nommé à la tête du quotidien Diario de Noticias, avant d’en être renvoyé 1 an plus tard. C’est surtout à partir des années 80 qu’il commencera à acquérir sa stature d’artiste comptant dans le paysage culturel. Ce qui ne l’empêchera pas de connaitre des pressions, son livre sur Jesus Christ ayant fait l’objet de censure pour offense à la religion, le poids du catholicisme étant encore présent au Portugal ; ce qui lui fera choisir la voie de l’exil dans les années 90.


Son style d’écriture a fait sa renommée : presque pas de point ni de majuscule, quasiment que des virgules pour séparer les discours de ses personnages, qui se superposent presque et s’enchainent de manière fluide les uns aux autres, en mélangeant des styles direct et indirect. Là où chez certains cela pourrait uniquement entraîner de la confusion dans le récit, Saramago construit assez bien ses phrases pour au contraire, permettre de les lire sans encombre.


Exemple dans l’ouvrage présenté (page 83, lors du sacrifice d’Isaac par Abraham) :


« Que vas-tu faire, méchant vieillard, tuer ton propre fils, le brûler, c’est de nouveau la même histoire, on commence par un agneau et on finit par assassiner celui qu’on devrait chérir le plus, C’est le seigneur qui l’a ordonné, c’est le seigneur qui l’a ordonné, se débattait abraham, Tais-toi ou c’est moi qui te tue ici, détache vite ce garçon, mets-toi à genoux et demande-lui pardon, Qui es-tu, Je sui caïn, je suis l’ange qui a sauvé la vie d’isaac. Non, ce n’est pas vrai, caïn n’est nullement un ange, l’ange c’est le personnage qui vient d’atterrir dans un grand bruissement d’ailes et qui a commencé à déclamer comme un acteur qui aurait enfin sa réplique, Ne lève pas la main contre l’enfant, ne lui fais aucun mal, car je vois que tu obéis au seigneur, que tu es disposé, pour l’amour de lui, à n’épargner pas même ton fils unique, Tu arrives tard, dit caïn, si isaac n’est pas mort c’est bien parce que je l’ai empêché. »


Même si le livre prend pour base une histoire fantastique faisant intervenir le surnaturel, les descriptions réalistes de certains évènements mythiques viennent totalement briser leurs aspects sacrés et imposant. Ainsi de l’arche de Noé, où la cohabitation des animaux, et notamment de leur merde le long du voyage, n’est pas la chose la plus aisée lorsqu’il y a 4 servants pour des milliers de bêtes ! Les nombreuses scènes charnelles entre les personnages, que ce soit Lilith et Caïn, Eve et Adam, ou les femmes de la famille de Noé et Caïn font partie du même processus de désacralisation des personnages, souvent impuissant ou incapable par manque de connaissance à donner du plaisir à leur partenaire. Et pour les mêmes raisons, l’ouvrage est plutôt féministe, les femmes n’hésitant pas à recadrer leurs maris médiocres ou à prendre d’autres partenaires.


Cependant, c’est surtout Dieu qui est attaqué : pendant la totalité du récit, il est montré comme faillible, incapable dans certains cas malgré son statut céleste, imprévoyant, injuste, orgueilleux, jaloux et avare. Ce dernier point fait l’objet de 2 pages pour décrire l’enrichissement capitaliste de la guerre, la divinité amenant son peuple à massacrer les païens pour récupérer leurs richesses et que Dieu puisse en faire fructifier une partie comme un bon capitaliste.


Les évènements bibliques sont racontés d’un point de vue humain, comme lorsque Ismaël se sent trahi par son père pour avoir voulu le sacrifier au nom de Jéhova, ou lorsque ce dernier massacre tous les habitants de Sodome et Gomorre même les enfants innocents. Dieu se trouve puni par Caïn à la fin par la mort de tous les humains, Dieu étant privé de gens pour l’adorer, mais surtout condamné pour les massacres qu’il a commis, avec à la fin la démonstration de sa totale impuissance.


Pour finir, les rapports de filiation et de parenté sont complètement pourris soit par l’adultère (où les enfants ne sont pas ceux du mari), par les agressions arbitraires pour plaire à Dieu, les incestes, voire tout simplement les difficiles relations entre Dieu et ses créatures. Un livre à lire pour réfléchir, tout en profitant de son agréable écriture.

Ambroise-JRCF

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